Le Palais des Beaux-Arts de Lille met à l’honneur un magnifique portrait de Hollandaise réalisé par Jacqueline Comerre-Paton (1859-1955) à l’occasion de l’exposition « Où sont les femmes ? », imaginée et conçue par les commissaires Camille Belvèze et Alice Fleury, qui se tient dans la capitale des Flandres du 20 octobre 2023 au 11 mars 2024.  Cette peinture à l’huile sur toile a été présentée pour la première fois par l’artiste au Salon des artistes français à Paris en 1889. Le costume traditionnel de cette jeune hollandaise mérite une attention toute particulière. Voici d’où il est originaire et quels en sont les éléments les plus caractéristiques.

Ce costume traditionnel était autrefois porté  sur l’île poldérisée de Hoeksche Waard dans la province de Hollande méridionale aux Pays-Bas, et plus précisément sur l’île de Beijerland, et pas du tout sur les bords du Zuyderzee (aujourd’hui l’IJsselmeer) comme l’a pensé le critique d’art Georges Lafenestre en 1889 : « On devrait trouver plus de réserve dans la Baigneuse, de Madame Comerre-Paton, qui joint, cette année, à ce morceau académique, une intéressante étude de Hollandaise dans son costume national. Ce costume pittoresque où les dentelles, les mousselines, les soieries, les plaques d’orfèvrerie s’accumulent sur la tête et la poitrine en des complications chatoyantes, est un de ceux que les peintres font bien de nous conserver, car dans quelques années on le cherchera vainement sur les bords du Zuyderzee. Ce ne sera plus, comme le costume romain et le costume breton , qu’un costumage de carnaval ou d’atelier » (Georges Lafenestre, Le Salon de 1889, Paris, Goupil & cie., 1889, p.15)

Au XIX^e siècle, nombreux étaient les peintres qui aimaient visiter des villages typiques d’Europe en quête de pittoresque et de
nature intacte. Des artistes séjournèrent ainsi à Pont-Aven pour brosser la singularité de ce coin de Bretagne, en particulier les traditions vestimentaires inaltérées des Bretonnes. Émile Bernard y peignit Le pardon – Bretonnes dans la prairie verte (1888) et Paul Gauguin La vision après le sermon (1888).

La Hollande n’échappa pas non plus à cette mode du village enchanteur imprégné d’un folklore bon enfant : « Il n’y a que la Hollande avec l’exotisme aussi singulier, mais plus menu, plus étroitement pittoresque de ses populations, de Middelburg, Volendam et Marken, qui ait pu faire concurrence à ce cycle breton » (« Exposition de 1900 », in : Rapports du jury international, p. 390). Ces artistes furent ainsi attirés par le pittoresque de ces villages à la recherche d’un environnement préservé où les habitants vivaient proches de la nature. Comme les costumes bretons, les costumes traditionnels de Hollande constituèrent pour les peintres un sujet de prédilection, un stéréotype idéal et une image facilement identifiable sur un plan graphique (Thomas Beaufils, « L’Europe du Nord dans les affiches touristiques », Deshima n°10, 2016). Citons par exemple la très osée Belle hollandaise que Picasso peignit lors de vacances aux Pays-Bas en 1905.

 

L’île de Hoeksche Waard avait beau être fort difficile d’accès, cela n’arrêtait aucunement les peintres qui s’y rendaient en diligence et par bac pour traverser rivières et fleuves. Johan Barthold Jongkind y voyagea régulièrement de 1852 à 1863 pour y rendre visite à sa grande sœur Magdalena mariée à un pasteur réformé. Le couple résidait dans le village de Klaaswaal situé à quelques kilomètres de Oud-Beijerland.  Jongkind y réalisa de belles aquarelles où apparaissent quelques femmes en habit traditionnel. La peintre néerlandaise Thérèse Schwartze (1851-1918) peignit quant à elle en 1895 un délicat portrait d’une jeune mariée.

Dans ce tableau intitulé Bruidje uit Oud-Beijerland, la jeune femme est vêtue d’une coiffe similaire à celle que porte la Hollandaise de Jacqueline Comerre-Paton que nous allons à présent décrire :

• Contrairement aux costumes de Marken et de Volendam (bords du Zuyderzee), qui étaient traditionnels dans leur entièreté, celui du Hoeksche Waard n’est caractérisé que par une coiffe spécifique. Les robes portées suivaient la mode des grandes villes néerlandaises.
• Cette jeune fille porte une coiffe composée d’un voile orné d’un large bord de riches dentelles (een kanten sluiermuts également appelé kanten krullenmuts) au décor floral, tombant largement sur les épaules et laissant apparaître un rien de cheveux.
• Sur son front, une plaque appelée « voorhoofdnaald », posée en oblique, indique son statut matrimonial : si la femme est mariée, l’inclinaison de la parure de front est de gauche à droite et si elle ne l’est pas, de droite à gauche, ce qui est le cas ici.
• De chaque côté de cette plaque, deux élégantes broches ou rosaces (sierknopen) sont tenues par des épingles d’argent dont la tête est une perle (parelspelden), courantes dans les îles du sud des Pays-Bas.
• Au niveau des yeux, le visage est encadré par des fers temporaux (oorijzers/ijzer met krullen ) en spirale (krullen), en général de 6 à 8 spirales, additionnés de pendeloques (mutsenbellen ou krullenbellen), enrichis de quelques pierres fines (grenats, diamants), suspendues par un anneau mobile.  Il semble ici que les spirales soient fixées  à un casque en métal doré caractéristique que l’on aperçoit sous la mousseline transparente, et qui enserre la tête. Plus généralement, les femmes du Beijerland portaient sous le voile un bonnet de couleur noire.

Pour créer bijoux et plaques, le métal (or, argent, laiton) était soit estampé, soit coulé dans des moules. La technique du « filigrane » (filigrein) étaient également courante chez les orfèvres dont les plus célèbres étaient installés dans la ville de Schoonhoven, en Hollande méridionale, où se trouve un fort intéressant musée de l’orfèvrerie. Cet artisanat  produit un magnifique effet de broderie en métal. Le métal est étiré jusqu’à obtenir un fil très fin, puis il est travaillé en multiples torsades en soudant les fils entre eux. Cet art quelque peu emprunt d’orientalisme pourrait avoir été introduit par les juifs portugais qui se sont installés à Amsterdam dès la fin du XVI^e siècle.

La jeune fille porte également un collier de perles de corail rouge (bloedkoraal) à deux rangs, une espèce essentiellement endémique de Méditerranée très appréciée en joaillerie, aujourd’hui menacée d’extinction. Les colliers à trois, quatre ou cinq rangées sont les plus répandus. Le bijou en forme de croix indique sans doute qu’elle est de confession catholique, les femmes protestantes ne portant pas ce signe religieux de manière aussi ostentatoire. Juste en dessous, un autre bijou appelé « borststuk » porté au niveau de la poitrine (borst). Le magnifique châle au motif floral rouge et vert  avive de manière plus éclatante encore ce portrait d’une jeune femme pieuse qui tient dans sa main droite un missel muni de ses fermoirs – un doigt marquant la page qu’elle est en train de consulter – et dans la main gauche un bouquet de rameaux, ici du buis, qui suggère que  cette scène a été immortalisée un dimanche des Rameaux une semaine avant Pâques.

La critique d’art et femme de lettres Gustave Haller – les femmes se devaient alors de porter un prénom masculin pour être entendues et publiées – écrit en 1902 un texte fort énigmatique à propos de ce tableau : « Nous sommes frappé d’une œuvre pure et gracieuse de Madame Comerre-Paton. Adossée au pilier d’une église et richement parée de son grand bonnet scintillant de dorure, la poitrine couverte de chaine d’argent, une belle paysanne hollandaise attend à l’église, son livre à la main, l’office qui ne commencera pas. Dans l’immobilité que donne une idée absorbante, elle pense à Dieu, pendant que les hommes pensent à elle, et que les amateurs songent à l’acheter. Madame Comerre est la seule élève femme qu’ait laissée M. Cabanel [représentant de l’Art académique]. Seule aussi, elle a ce faire calme et pure. Ses figures ont des âmes d’enfant » (Le Salon. Dix ans de peinture, Paris, Calmann-Lévy, 1902, p.  170-171).

Voici d’autres femmes en costume traditionnel du Hoeksche Waard  un rien plus sobre :

Pour aller plus loin :

• Dubley Barret Brian and Groeneveld André, Volendam Artists Village. The heritage of Hotel Spaander, Zwolle, Uitgeverij d’jonge Hond, 2009.
• Auguste Racinet, Le costume historique, Paris, Firmin-Didot, 1888.
• Hanneke van Zuthem, Streeksieraden uit de collectie van het Nederlands Openluchtmuseum, Zutphen, Walburg Pers, 2018.

Article protégé par l’ISSN 2967-8455 déposé auprès de la BNF.

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